Mark ROTHKO, untitled, n°21, 1949
Mark ROTHKO, untitled, n°21, 1949
« Comment ne pas être heideggérien » par Alain Finkielkraut « Heidegger contre la langue allemande : les enjeux du nom juif » par Jean-Claude Milner le 22 janvier 2015 A la Bibliothèque nationale de France
« Les questions que Freud lançait aux névrosés : quelle part prenez-vous aux maux qui vous accablent ? Quel bénéfice secondaire tirez-vous de votre souffrance ? Qui culpabilisez-vous en vous déclarant innocent ? Quand vous vous plaigniez, contre qui portez-vous plainte et n’est-ce pas votre plainte qui vous porte ? »
Michel Schneider, Big Mother, Psychopathologie de la vie politique, Ed Odile Jacob, 2002, P 140
Cy TWOMBLY, Coronation of Sesostriss, 2000, Pinault collection
Mark ROTHKO, self portrait, 1956
» Devenons-nous individuellement et collectivement incapable de soutenir la différence ? Nous pouvons en être affligés, nous ne devons pas en être surpris. La différence fait mal quand on ne perçoit plus ce qui la fonde, et qu’on ne tient plus à ce qu’elle fonde. L’illusion, au sens freudien, n’est pas seulement la croyance, c’est le fait que telle croyance est nécessaire au maintien du narcissisme et de l’identité. Différence et universel, le débat est interminable. Surtout lorsqu’on confond (comme pour le débat entre égalité et inégalité) le droit et le fait. Il n’y a pas un droit de la différence, au sens où cette dernière conférerait des droits dans l’espace public. Il y a un droit à la différence qui garantit le respect d’un espace privé et d’une liberté individuelle. La République est un espace juridique et politique réglé par l’égalité des citoyens (non des hommes concrets) et l’universalisme des valeurs (nom des intérêts). Elle ne doit pas prendre en compte les inégalités de fait (fût-ce pour les redresser par des discriminations positives), non plus que les différences réelles. Les unes et les autres sont le pain et le sel de la liberté des sujets. Au risque de paraître enfoncer des portes ouvertes, il faut rappeler que toute différence n’est pas une inégalité, ni toute inégalité une injustice. Mais, par cette confusion générale dans le discours politique, l’Etat est amené insensiblement à effacer les différences pour ne pas perpétuer les injustices. Semblable en cela à une mère qui veut paraître équitablement bonne pour ses petits il dit à chacun qu’il n’y a pas de préféré, que sa sollicitude et son amour vont également tous ses enfants, et qu’entre eux, il n’y a plus de différences. Confondant la nécessaire et démocratique égalité des droits et une égalité de fait qui n’est ni possible ni souhaitable, il traque souvent des discriminations qui ne sont que des différences. « La passion de l’égalité, source d’injustice », disait Tocqueville. Est-il impossible de reconnaître une position sans penser un terme supérieur à l’autre ? »
Michel Schneider, Big Mother, Psychopathologie de la vie politique, Ed Odile Jacob, 2002, P 154-155
Pablo PICASSO, Portrait de Nuch Eluard (1937)
Mark ROTHKO, Green on Blue, (Earth, Green and White) 1956
Frank Bowling Texas Louis, 1971, Pinault Collection
Sommeil de plomb
On appelle cela un sommeil de plomb ; il semble qu’on soit devenu soi-même, pendant quelques instants après qu’un tel sommeil a cessé, un simple bonhomme de plomb. On n’est plus personne. Comment, alors, cherchant sa pensée, sa personnalité comme on cherche un objet perdu, finit-on par retrouver son propre moi plutôt que tout autre ? Pourquoi, quand on se remet à penser, n’est-ce pas alors une autre personnalité que l’antérieure qui s’incarne en nous ? On ne voit pas ce qui dicte le choix et pourquoi, entre les millions d’êtres humains qu’on pourrait être, c’est sur celui qu’on était la veille qu’on met juste la main. Qu’est-ce qui nous guide, quand il y a eu vraiment interruption (soit que le sommeil ait été complet, ou les rêves, entièrement différents de nous) ? Il y a eu vraiment mort, comme quand le cœur a cessé de battre et que des tractions rythmées de la langue nous raniment. Sans doute la chambre, ne l’eussions-nous vue qu’une fois, éveille-t-elle des souvenirs auxquels de plus anciens sont suspendus. Ou quelques-uns dormaient-ils en nous-mêmes, dont nous prenons conscience ? La résurrection au réveil – après ce bienfaisant accès d’aliénation mentale qu’est le sommeil – doit ressembler au fond à ce qui se passe quand on retrouve un nom, un vers, un refrain oubliés. Et peut-être la résurrection de l’âme après la mort est-elle concevable comme un phénomène de mémoire.
Marcel PROUST, Le côté de Guermantes, Gallimard, coll La Pléiade, 1973, p 88
Cy TWOMBLY , Coronation of Sesostriss, 2000, Pinault collection
« Et nos objets racontent notre histoire et dévoilent moins celui que nous sommes que celui que nous ne voulons pas être ou celui que nous aurions rêvé d’être. Ils nous reflètent, nous mettent en relation à nous-mêmes, autant qu’à autrui. Mais quelle relation ? Un accrochage narcissique, brusque et vain, ou bien le lien d’étrangeté, qu’il faut tisser et maintenir ? En fait, nous utilisons nos objets pour dire ou pour oublier une identité menacée. Le malaise qu’ils tentent de conjurer est la difficulté qu’il y a à être un sujet, c’est-à-dire quelqu’un qui n’est que dans sa relation à l’autre. Alors, on préfère fuir l’autre, ou tenter de cicatriser par la présence pleine des objets le manque qu’il creuse en nous et qui s’appelle le désir. »
Michel Schneider, Big Mother, Psychopathologie de la vie politique, Ed Odile Jacob, 2002, P 129
« Tant d’objets sont aujourd’hui nécessaires à nos relations, interposés entre autrui et nous, ou entre nous et nous-mêmes ! De plus en plus de connexions et de moins en moins d’attachement ; de plus en plus d’informations et de moins en moins de compréhension ; de plus en plus d’individus rivés à leurs différences et de moins en moins de sujets travaillant à leur autonomie. Qu’un objet réduise mon désir au silence ne signifie pas qu’il y réponde. Qu’il vise à calmer l’angoisse et la souffrance de devoir en passer par les autres ne garantit pas qu’il parvienne à faire taire l’autre en soi. »
Michel Schneider, Big Mother, Psychopathologie de la vie politique, Ed Odile Jacob, 2002, P 130
Morozov collection, Fondation Louis Vuitton,
14 décembre 2021