Selon 6 (Théâtre)

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SELON 6 Théâtre

La scène serait recouverte d’une lumière fantomatique au travers de laquelle Sam échapperait à la distinction. Il tiendrait en main les feuillets de son Journal, texte — toujours en cours — et qui à mesure que le temps passera, seront dispersés sur le plateau.
Tantôt il lira son Journal, tantôt il écoutera une voix en lui, (voix « off ») tantôt il s’adressera à une personne peut-être imaginaire… (Adressées)

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Adressées
Au fait, vous dans la salle, comment voyez-vous cette toile composée de lignes qui courent en tout sens et qui déplace le centre de gravité selon l’endroit d’où l’on regarde. Etes-vous en mesure de voir ce que je découpe dans l’espace de cette toile ? Qui peut le dire, en vérité ? Nul autre que cet accompagnement de la toile vers le centre, un centre déplacé, pire : un centre perdu.… Je voudrais pouvoir me conformer à une ligne, la suivre Selon le rayon qu’elle détermine, m’en accommoder en somme, comme on fait avec chacun…, quand on ne sent pas prêt à défendre sa position. Quand les forces, l’envie, le désir, défaillent. Oui. Entendez-vous bien ce que je dis en ce moment pendant que vous penchez vos têtes vers l’autre là-bas pour signifier votre hébétude devant ces mots ? Je me le demande. Si je pouvais, si je pouvais ! Non, ne liquidez pas le moment de la panne. C’est elle qui signale la part obscure de nos sensations, pas le continu, pas le linéaire…

Lecture du Journal
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Adressées
Pas de l’œil, n’en croyez rien !

Lecture du Journal
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Voix « off »
“68”, ah… (silence de perplexité)

Lecture du Journal
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Adressées
D’où vous parlez, vous là-bas au fond ? Le savez-vous ? Qui peut le dire ? Je voudrais parfois m’arrêter un instant, regarder autour de moi, tout surprendre en seul geste. Immobiliser l’image, juste une fois. Si c’était possible… J’ai de plus en plus de difficulté à continuer avec les autres autour, ils me semblent tous menaçants pour eux, pas pour moi, non. Ils agitent leur corps, leur langue, des milliers d’images en pensant que c’est par cet artifice qu’ils tiennent.
Ils se soutiennent en se pelotonnant les uns aux autres. Ne dit-on pas “se tenir chaud” ? A partir de deux on commence à sentir la chaleur de l’autre, non ? Pas besoin de multitudes. Non ! Pourtant… Suspendez-vous à ces points. Certains écrivains, et ils sont rares, on en fait leur unique attache. Ils suspendaient le sens ! Le laisser en suspens ! S’y laisser choir ! Faut bien ça quand le reste se barre ! Ah oui, vous disiez… Répétez un peu pour voir… Vous ne voulez pas ? Comment vous obliger ? C’est comme avec les enfants. c’est quand vous ne leur demandez rien qu’ils parlent volontiers. Vous avez remarqué, vous aussi ? Oui, je le vois bien. Vous savez de quoi je parle. Vous tiquez à ces mots, ils vous gênent… Alors on s’entend un peu, juste un peu pour pouvoir continuer avec vous.

Voix « off »
Je ne suis jamais sûr d’aller jusqu’au bout. Je commence, me détourne, fuis devant, me recale à une autre place. En vérité, j’accompagne de tout mon corps, le mouvement des yeux vers l’horizon, cette ligne bistre qui sépare air et eau et puis je continue. “Cependant je continue.” C’est comme un titre, cette phrase. C’est une phrase, une vraie, avec un adverbe, un verbe, un pronom.

(Il se met à écrire.)

Ecriture et lecture du Journal
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Adressées
Vous là-bas, trouvez-moi autre chose, un autre exemple de doublage. Moi, je suis en panne ! Vous ne voulez pas ? J’ai l’impression que je vous ennuie. Que je suis en vous ! Que je parle sur le lieu même de la description, celle qui est capable de faire peur quand précisément elle est poussée jusqu’au bout. Mais ne vous inquiétez pas, je vais m’arrêter-là, vous laisser souffler, à l’évidence vous en avez besoin. Silence. Oui, oui… Je vous en prie… Non vraiment, je n’en ferai rien… A vous croyez ?… Effectivement, dit comme ça, on peut penser que je déplace les couleurs avec la main, elles collent aux doigts, mais ne se mélangent pas. C’est une opération magique : les couleurs conservent leur intégrité en s’appliquant en bandes serrées à partir de l’épaisseur des doigts. A la fin, il reste une sorte de grille tournée qui modèle une figure improbable.

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