Tout dire

Comment « tout dire », quand on connote cette expression d’un passage aux aveux ? La psychanalyse règle cette demande sans la prononcer, en sorte que l’analysant a à en découdre avec ce qu’il imagine réclamé de l’autre côté du divan, dans ce hors-champ, ce point aveugle où le silence fait la passe. Le Tout dire de la séance analytique ne correspond en rien au « tout dire » de l’écriture qui lui procède d’un fantasme performatif. Et RB nous dit : « (…) l’écriture n’est pas de l’ordre du « tout dire ». Mais en même temps je dirais n’est pas de l’ordre du « dire quelque chose », elle n’est pas de l’ordre du message. C’est un point qui a été bien débrouillé, bien dit, par la théorie du texte depuis dix ans : l’écriture ne dit pas quelque chose, elle n’a pas à charge de dire quelque chose, ce qui fait qu’on approche évidemment d’un statut extrèmement difficile à définir, je dirais même impossible à définir, puisque l’écriture ne dit pas rien, elle ne dit pas quelque chose, et elle ne dit pas tout. Alors, qu’est-ce qui se passe ? On est là dans une région qu’on peut qualifier provisoirement d’impossible ; je dirais volontiers que l’écriture, c’est de l’ordre du dire « presque quelque chose » (…). » (Colloque Prétexte : Roland Barthes)
Ce presque met l’écriture sur les bords du probable, des bords qui rencontrent le littéral et les degrés, le réel et les métaphores . Un entre-deux, un entre-chat où la souris du sens, celle qui déplace le curseur sur le « menu » est tremblante, difficile à tenir. Ce « presque » affirme la condition de l’écriture : n’être qu’une approche du sens, une approche – seulement – de la représentation du monde.
J’aime l’idée que l’écriture soit comparée à l’essai (au sens premier du terme), à l’esquisse, au tremblé du tracé et qu’elle demeure dans cet espace improbable en définitive, où toutes certitudes se délitent à mesure même qu’elles sont préconisées .
Si on perdure dans l’idée que le texte qu’on a produit a cerné le tout-de-ce-qu’on-avait-à-dire sur un objet, on défend plutôt la mort du sens, que l’avènement d’un corps de significations soumises à l’aléatoire et à l’indirect. Alors…, alors…, est-il admissible de dire que « l’écriture, elle est je crois, tout de même du côté du n’importe quoi, non pas de n’importe quoi, mais du n’importe quoi. » Cette proposition audacieuse et fragile affiche le caractère irrémédiable de l’écrire quand il ramène à une activité humaine, trop humaine… L’horreur fut (et est encore) de considérer l’écrit comme un texte de loi, de lui assigner cette fonction d’arrêt par laquelle on statue et enferme les significations entre des limites décidées par le législateur. Pourtant, l’Histoire le montre, qu’il n’y a rien de moins sûr qu’un texte de loi.
En rapprochant la litérature du texte juridique, on ne peut qu’attester de son absolue fragilité, car ce texte dépend entièrement du lecteur, ce lecteur, inconnu qui ne sert qu’à faire marcher la machine, qu’à produire du sens, selon sa supposée demande. Ce petit jeu avec la demande exprimée par ceux qui prétendent savoir ce que veut le lecteur. Quel leurre.

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