Roland BARTHES Le Plaisir du texte

Fuite en avant

« Pour échapper à l’aliénation de la société présente, il n’y a plus que ce moyen : la fuite en avant : tout langage ancien est immédiatement compromis, et tout langage devient ancien dès qu’il est répété… En face, le Nouveau, c’est la jouissance… D’où la configuration actuelle des forces : d’un côté un aplatissement de masse (lié à la répétition du langage) – aplatissement hors-jouissance, mais non forcément hors-plaisir – et de l’autre un emportement (marginal, excentrique) vers le Nouveau, emportement éperdu qui pourra aller jusqu’à la destruction du discours … »

Répétition

« La forme bâtarde de la culture de masse est la répétition honteuse : on répète les contenus, les schèmes idéologiques, le gommage des contradictions, mais on varie les formes superficielles : toujours des livres, des émissions, des films nouveaux, des faits divers, mais toujours le même sens… : la critique porte toujours sur des textes de plaisir, jamais sur des textes de jouissance : Flaubert, Proust, Stendhal sont commentés inépuisablement ; la critique dit alors du texte tuteur la jouissance vaine, la jouissance passée ou future : vous allez lire, j’ai lu : la critique est toujours historique ou prospective : le présent constatif, la présentation de la jouissance lui est interdite ; sa matière de prédilection est donc la culture, qui est tout en nous sauf notre présent…
Ce texte est hors-plaisir, hors-critique, sauf à être atteint par un autre texte de jouissance : vous ne pouvez parler « sur » un tel texte, vous pouvez seulement parler « en » lui… 
 D’où deux régimes de lecture : l’une va droit aux articulations de l’anecdote, elle considère l’étendue du texte, ignore les jeux de langage… l’autre lecture ne passe rien ; elle pèse, colle au texte… ce n’est pas l’extension (logique) qui la captive, l’effeuillement des vérités, mais le feuilleté de la signifiance ; comme au jeu de la main chaude, l‘excitation vient, non d’une hâte processive, mais d’une sorte de charivari vertical (la verticalité du langage et de sa destruction) ; c’est au moment ou chaque main (différente) saute par-dessus l’autre (et non après l’autre), que le trou se produit et emporte le sujet du jeu – le sujet du texte – la pression du langage capitaliste… n’est pas d’ordre paranoïaque, systématique, argumentatif, articulé : c’est un empoissement implacable, une doxa, une manière d’inconscient : bref l’idéologie dans son essence. »

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