l’Appartement se détache du  passé (Patrick Modiano)

 

« Pour la première fois de ma vie, je sens que les entraves et les contraintes qui me retenaient jusque-là sont abolies. Peut-être est-ce une illusion qui se dissipera demain matin. Je baisse la vitre et l’air froid augmente encore mon euphorie. Pas la moindre buée, le moindre halo autour des lumières qui scintillent le long de l’avenue.

Nous prenons le pont du Carrousel et, dans mon souvenir, nous suivons le quai, à gauche, en dédaignant le sens unique, nous passons devant le pont des Arts, nous roulons à une allure lente, sans qu’aucune voiture ne vienne dans l’autre sens.

Grabley n’est pas encore là. Nous traversons le vestibule et l’appartement se détache du passé. J’y entre pour la première fois. C’est elle qui me guide. Elle monte devant moi le petit escalier qui mène au cinquième. Dans la chambre, nous n’allumons pas l’électricité.

Les lampadaires du quai projettent au plafond un rai de lumière aussi clair que celui qui filtre, l’été, par les fentes des persiennes. Elle est allongée sur le lit avec sa jupe et son pull-over noirs. » 

Patrick Modiano, Un cirque passe, Gallimard ed, p.112, 1992

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