Selon 11 (Théâtre)

Selon1Selon2

SELON 11 Théâtre

La scène serait recouverte d’une lumière fantomatique au travers de laquelle Sam échapperait à la distinction. Il tiendrait en main les feuillets de son Journal, texte — toujours en cours — et qui à mesure que le temps passera, seront dispersés sur le plateau.
Tantôt il lira son Journal, tantôt il écoutera une voix en lui, (voix « off ») tantôt il s’adressera à une personne peut-être imaginaire… (Adressées)

SELON, textes 1 à 7 du 25 au 31 mars 2005

La musique survient d’un centre noir.

Adressées
J’ai peur, tout d’un coup. J’ai peur sous la musique. Elle devrait m’apaiser, m’éloigner de l’espace interdit, me tirer à elle, somptueuse et magique, mais non. Si mal en elle, si mal en moi. “Qui le peut ?” , dit la mère de l’enfant impossible. Impression furieuse de n’être jamais sorti de cette zone de turbulence, l’enfant. Impression affirmée à chaque trait de passage, à chaque épreuve avec le monde. Suffit pas d’avoir un enfant, de donner des conseils, de rassurer, de montrer une voie, une technique, un “savoir-faire”. Mais un “savoir-être”, hein ? Qu’en dites-vous ?… Montrer son excellence, sa sûreté. Non, suffit pas !
Ecrire un jour un livre avec ce titre là : “suffit pas !”, en veillant à ne pas omettre l’indispensable point d’exclamation.
S’habiller d’enveloppes paternelles, professorales, tutrices, tout en étant conscient qu’elles tiennent à peine, qu’il suffirait d’un souffle plat pour qu’elles se détachent du corps… Ai bien eu l’ambition de construire des fictions parfaites, élaborées à partir des plus sûrs attributs : dosages extrêmes, manipulations de langues associées à des techniques, mais j’ai lâché aussitôt que s’envenimaient sous mes doigts les artifices des matériaux.
“C’est que écrire c’est une activité pas naturelle.”, me souffle un docteur borné.
Pour sûr !
Alors on force la note, on fait en sorte de…, pour copier ces occupations folles, conduites entre veilles et jours, avec ces charges de souffles, de discriminations et d’abaissements. Mettez un S là où vous doutez de la note. Entendu ! Vous croyez qu’ils s’entendent, vous ? Pas croire que… Ils écrivent, ils écrivent, se donnent des sons, des lignes, des plans, une armature entière fondée sur l’accomplissement d’un objectif. Mais où arriver quand on commence à traiter avec la matière langue ? Celui qui est sûr de son coup, c’est le même qui va construire son existence selon une philosophie des objectifs. Imposture généralisée. Plus on prévoit, moins on s’appuie sur du solide. Regardez l’Histoire. Ça n’empêche pas les hordes de suppliciés qui défilent en rangs serrés pendant que nous mangeons, conversons, accomplissons le devoir de reproduction. 435, 625 et mieux 1250 lignes pour mieux voir. Non ! Voir plus juste ? Non ! Image plus fine pour faire penser qu’on est présent, là au centre de la scène, dans l’image. Quand les machines nous auront installés définitivement dans l’image, elles auront gagné l’ultime combat qui consiste à ne plus confondre réalité et représentation. Allez donner, donner que ça donne pour faire entrer le pied. Chaussure à son pied. Trouver chaussure à son pied. SELON !
Je m’épuise à mettre du sens là où le silence habillerait les manières du temps. Blanc sur blanc. Un carré noir sur un carré noir. Plus rien entre. Le Niçois a perclus le monde de couleurs et de ses opérations a surgi la splendeur. Heureusement qu’il y a des œuvres que je puis regarder sans effort, qui avancent vers mes yeux, s’offrant dans un pur équilibre où alternent des souffles de lumières, tous dissemblables. Où sont les copies dans les œuvres du Niçois ? Voulez-vous me le dire ? Une vie entière à tisser de la couleur..

Voix « off »
Ils ne répondent pas. Elle non plus, là-bas derrière. Si flou… Pourtant… Manières de dire, d’annoncer, de se placer juste en face de l’écran pour qu’il réfléchisse en écho. Cuvette du son. Touche après touche j’effleurais le clavier, souple et ferme. Je sens les ressorts dessous qui renvoient les cubes évasés vers le haut, vers la ligne. En un mot. Pourquoi séparer les mots ? Langue affublée d’espace entre. De l’un à l’autre. Elle a bougé, à côté, j’ai entendu un bruit ! Mais oui… Sylvia, je t’ai entendue, ne me laisse pas comme ça… Non, le bruit vient de l’autre côté, il tourne avec l’air. Espaces entre les couches d’air. Aujourd’hui, des machines sophistiquées affichent sur écran l’invisible, l’air… Quelle forme prend l’invisible, désormais ? Question saugrenue ! Pas tant que ça. Oui, oui, je vous entends. Ah, le bruit revient, frottements d’airs, de particules, de protons, photons. Cellules en cours de formation.
Je m’épuise et personne n’y peut mais…

Adressées
Flûte !, ça recommence, le bruit revient avec les souffles. Sylvia, non je sais que tu ne me répondras pas, mais je voulais, heu… Oui, je voulais juste, heu… Non, impossible, je ne peux pas…
Se mettre en l’état. Etat des choses, du monde, des idées. De quelle spécialité procède-t-on pour accomplir un geste fondateur. “Demandez aux Prophètes !”, qu’il me répond. Un moment, il me considère à travers ses lunettes puis me lance : “Mettez-vous au Livre, il est en trois.” Qu’est-ce qu’il voulait dire par là ? Je me suis lentement éloigné pour ne pas me sentir obligé de lui répondre.
En vérité, en vérité, je vous le dis : quoi répondre au Livre, sur quel terrain le déplacer ? Chacun avec ses petits morceaux d’être qu’on se coltine de place en place. Double gageure : trouver une place ou, au moins, des places où résider sans souffrir et y caser des morceaux qui représentent chaque fois une totalité.
“Vous ne conversez pas avec la divinité ?” qu’il me dit. Et je lui réponds : “Je l’ai mis entre parenthèses ! Commode, non ?”
Je m’épuise littéralement, tout sort par en-dessous. “Qu’est-ce que ce tout ?” ASSEZ ! Qu’il répond en hurlant ! Je voudrais savoir qui parle ? Personne… Non… Et là… Ben non ! Une voix en moi ? Facile ! C’est toujours ce qu’on profère quand on ne sait pas qui parle. Non ! Quand JE parle, je me demande souvent QUI parle en moi ? Produit de discours successifs, d’être à là… Succession. Filiation. Prenez la suite, mais par quel bout ? Inutile d’attraper le début, il n’existe pas, il n’a jamais eu lieu, tenez-vous-le pour dit ! Ne faites pas ces yeux ! J’vous en bouche un coin ? Ben… Il faut sans cesse travailler l’idée que nous sommes en suspend d’être et que cette situation est rédhibitoire.
J’avance aveugle dans le texte, je me laisse porté par le continuum des phrases qui s’enroulent, voltigent… Enigmatique ce centre que je ne pourrais atteindre mais qui est là, présent, absolument présent. Ce centre me point, se désigne en cours de développement mais il m’échappe toujours. Ça fait continuer… Ils ont constitué un livre composé de savoirs antérieurement dispersés et se sont alignés sur l’ordre des ordres : l’alphabétique.

Lecture du Journal
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