Selon 10 ( théâtre)

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SELON 10 Théâtre

La scène serait recouverte d’une lumière fantomatique au travers de laquelle Sam échapperait à la distinction. Il tiendrait en main les feuillets de son Journal, texte — toujours en cours — et qui à mesure que le temps passera, seront dispersés sur le plateau.
Tantôt il lira son Journal, tantôt il écoutera une voix en lui, (voix « off ») tantôt il s’adressera à une personne peut-être imaginaire… (Adressées)

SELON, textes 1 à 7 du 25 au 31 mars 2005

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Adressées
“Sylvia, Sylvia, tu m’entends ?” Derrière la porte, là, elle ne répondait pas, alors là-bas, au loin… Je n’ai jamais pu découvrir le mot qu’il fallait, le mot unique qui l’aurait arrêtée. Celui qui l’aurait invité à pousser la porte, à se découvrir. J’ai bien pensé un jour tous les prononcer… “A, ABACA, ABACULE” et arriver jusqu’à “ZYTHUM, ou ZYTHON”, comme on veut. Ce nom qui est considéré comme le dernier… Prononcer tous les noms de ce livre… Et si c’était sur un autre ?… Et si je devais prononcer le nom d’un Dieu, ou pire, un nom qui n’existe pas encore ? Et si ? Essi ? Aissi ? Eyssi ? Arrêter ! Tous les noms…, tous les noms…, et nous qui en portons un qui n’est pas assez nôtre. Dernière marque, chaque fois. Un nom pour un corps. Un pour Un. Ceux qui peignent, sculptent, construisent, écrivent, composent, sous un nom d’emprunt, se mettent à la dette. “Signez-moi cette reconnaissance de dette en attendant !”, se disent-ils. Les pires engagements restent ceux que l’on s’adresse. Par exemple,… Ah oui, cette interruption. vous vous êtes arrêtée juste à temps, Sylvia ! Vous n’en doutez pas, j’espère ? Un peu ? Passons de l’autre côté ou sautons de page.

Voix « off »
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Adressées
Je manipule des idées et elles me déforment à mesure que je les formule. SELON ! Persuadé que tout s’aplatira avec la fin. Rêver d’un corps entièrement renversé, d’un corps qui ne mobiliserait plus aucune force. Je m’épuise à écrire, à marcher, à suffire. SELON ! Et si toute l’écriture était une farce ? Vous ne le voulez pas ce texte ? Eh bien passez et n’y revenez pas. Vrai ?

Voix « off »
J’ai mal, j’ai mal, là, à l’intérieur entre cette flopée de virgules et ces points aux formes arrondies qui décrivent la descente des ordres, la manifestation des renoncements. Non, je n’arrête pas, je ne veux pas ! Entourez-vous de tous les possibles, je ne souscrirai pas à votre commandement. Non ! Les mots glissent, fluides et torves, ils s’enroulent autour des mains, les retiennent mais je trouve le moyen de me défaire et de continuer. Vous n’arriverez pas à m’immobiliser, pourtant tout un contingent d’idées brouillées m’empêchent en permanence. Pourquoi lutter ? En vertu de quel principe, de quelle obligation ? Mais le savant mathématicien ne me confiait-il que “le désir on l’a pas, il nous a.” Brouter cette formule, la ruminer, la mastiquer : il en faut pour l’avenir.

Adressées
Ah, ce dernier mot me fait mal ! Il y a des mots comme ça qui me transpercent au moment même où je les verbalise . Sortir un jour la liste de tous les mots qui me saisissent… Des expressions aussi… Mais je ne trouverai jamais la force… Allez viens, viens par là Sam, à la lumière. Oui, c’est là où je peux te voir. Devant cette parure striée, entre une parenthèse et un signe de paragraphe. Chiffre et signe au-dessus de la touche. Et la lumière frémit et mes doigts avec. C’est bon comme un bonheur imprévu. SELON !
Il survient au réveil après une nuit qu’on ne comprendra jamais, de ces nuits qui vous retournent et vous voudriez y revenir mais vous ne le pouvez. Qui commande ? Pas vous, assurément. Nul autre, d’ailleurs ! Mais plutôt des espèces de forces internes sans visage. Ceux qui ont voulu mettre de la mathématique sur les forces internes, ils s’occupent aujourd’hui de tracer et de combiner, torves et nœuds dans l’espace. Suffit ! Arrêtez-vous, Sam ! Pourquoi je vous parle comme ça ? Mais parce que seul le commandement fait arrêt, pas longtemps bien sûr, très vite on n’y croit plus, mais il permet de s’immobiliser…, le commandement et le mot avec. Un seul, mais s’agit de le trouver.
Je déconne. J’ai mal. Il me manque ! Il me manque !
Comment vivre ?

Adressées
Allons-bon ! Mais si, mais si… Ne vous libérez pas de la question, faites-là subsister dans cette espèce de permanence qui embarrasse quiconque s’enjoint de négocier. Moi, je ne veux pas me libérer. “Arrêtez !” Mais vous parlez… Oui, je m’arrête, mais ne m’interpellez pas de la sorte. Comptez les lignes, les espaces entre, ces bandes étroites et dentelées par où les mots se déforment jusqu’à produire une guerre dernière, celle qui condamne tout lecteur à pactiser avec l’ordre de la langue. La langue nous dépasse au même titre que le temps, mais elle, au moins, on peut l’incarner.

Voix « off »
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Et puis ça :
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Ça sonne, résonne, et harcèle quiconque s’emploiera à tirer à vue sur cet aveu en forme de constatation.

Adressées
Et l’Histoire qui se barre avec son cortège de prévisions prévisionnelles qui se délitent à mesure que tournent les saisons. Limites. Indéfectibles limites. Manifester. Manipuler. Donner. Ça donne, comme on dit qu’une chaussure, donne. Donner. Mais ils ont tout repris. L’offrande absolue est impossible car il reste toujours la trace du geste.
Comme je voudrais t’avoir près de moi en ce moment, oui… Si tu savais… Je… “Attention, tu vas tomber.” Tu te souviens ? C’est par ces mots que pour la première fois j’ai pris tes mains pour retenir le reste de ton corps comme on voudrait faire juste avant d’ensevelir un corps. Retenir un corps, pas l’âme, non. Toucher comme on ensevelit… Je t’ai retenue et tu t’es retournée vers moi…

Voix « off »
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Adressées
SELON ! Par où on est tiré ? De quel endroit nous projette-t-on pour atterrir sur ces esplanades luisantes faites pour durer mais qui ne durent que le temps du nom. Du nom. Au nom près. Je me suis embarrassé huit ans durant avec cette question sans apercevoir un instant son enjeu. Et il ne suffit pas de passer la barre pour la tenir à bout de bras. Cette question…. Et il se demandait d’où il avait tenu, une vie entière, ce nom à bout de bras qui s’échappa d’un dictionnaire. Je n’arrêterai jamais de poser mon regard sur les pierres luisantes agrémentées de dates extrêmes pour signifier un parcours. C’est ça une vie : quelques lettres et huit chiffres dans la forme la plus minimale.

Voix « off »
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