L’ombre interne I.4 (Théâtre)

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L’OMBRE INTERNE I.4
(Publication de ce texte les jours impairs de Juin & juillet 2005)

4

— Bonsoir, Amalia. Vous avez passé une bonne journée ?
— …
— Qu’avez-vous ?
— …
— Vous écrivez sur un cahier, maintenant…
— …
— Je peux faire quelque chose pour vous ?
— Oui. Sortez !
— Vous ne voulez que je m’assois un moment ?…
— Je vous ai demandé de me laisser. D’ailleurs, on sonne quelque part, vous n’entendez pas ?
— Vous avez une mauvaise voix…
— Trois nuits…
— …
— Je vous entendais passer et repasser devant ma porte. Je reconnaissais votre pas.
— Parfois, je ne sais plus quoi faire avec vous.
— “Avec vous.”
— Je ne tiens plus.
— NE DITES PAS ÇA !
— Vous reprenez des forces.
— De colère ! La colère donne de la force au plus faible ! Comment avez-vous pu me condamner de la sorte ?
— C’est pas…
— Taisez-vous ! J’ai appelé, j’ai sonné pour n’importe quoi. Pour la fenêtre, restée ouverte, pour la serviette tombée au sol, pour un râle qui traversait les murs et que j’étais la seule à entendre. Et c’était chaque fois cette femme blonde qui venait me secourir, avec ses yeux cruels. Et je vous savais là, tapi dans la tisanerie.
— Je ne pouvais pas…
— Taisez-vous, vous mentez ! Vous m’avez abandonnée ! Vous profitez de ma faiblesse. Votre jeunesse vous donne des droits, mais vous serez vieux vous aussi et vous attendrez !
— Il faut… Parfois…, devant vous…, quand vous penchez la tête, je me…
— Continuez ! Pourquoi vous venez encore ? Par pitié ? Par désir ? Pour trouver une solution ? Vérifier si vous êtes capable d’exister au-delà de votre travail d’assistance. Vous m’assistez, voilà la vérité !
— Ne criez pas, ça vous fait mal.
— Oui, et alors ? Trois nuits sans vous voir. Trois nuit à devenir folle. Vous sachant dans le service, sentant votre odeur, le bruit de vos pas qui traînent toujours… Et cette pétasse que vous déléguiez chaque fois que je sonnais.
— Je ne pouvais pas.
— Taisez-vous !
— Amalia , je…
— Cessez de dire mon nom ! Savez-vous ce que j’ai fait pendant ces trois nuits et même pendant les jours entre, j’ai écrit, écrit, rempli des pages et des pages. Vous refusez de lire les lettres que je vous écrits, pourquoi cette obstination ?…
— Un jour je lirai vos lettres. Quand vous serez sortie, quand je serai sûr de ne plus vous voir.
— Vous prononcez ces mots en détournant vos yeux. C’est si dur de poser son regard sur le visage d’une vieille femme. Vous m’avez lavée… Essuyée… Vous avez peigné mes cheveux… Mon corps affaissé s’est offert à vous. Plus rien ne peut le détourner de sa décrépitude. Je rêve d’une scène… Vous seriez là près de moi, enveloppé dans votre odeur de l’autre fois, sous une lumière de fin d’après-midi en train de lire ce que je vous écris…
— Je les lirai, ces lettres, Amalia, je les lirai…, mais plus tard…
— …
— Attendez, je vais vous dire…, je pensais…
— Disparaissez, Luc !

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