L’ombre interne I.1 Théâtre

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L’OMBRE INTERNE I.1
(Publication de ce texte les jours impairs de Juin & juillet 2005)

1

— Sortir.
— Encore…
— Quoi attendre quand on est ici ?
— On ne vous a rien dit aujourd’hui ?
— Je n’ai rien demandé… Je ne veux pas leur parler. Ils rentrent, sortent, changent mes draps, m’apportent leurs repas infâmes, garnissent la perfusion de liquides. Discutent pendant qu’ils font semblant de nettoyer. Mais je ne leur dis pas un mot. Vous ne savez rien, vous ?
— Je ne vois personne.
— C’est pas vrai !
— Oui, enfin…, juste l’équipe de l’après-midi que je croise.
— Et le cahier de liaison ?
—…

Silence

— C’est calme ce soir…
— Pour le moment…
— Aidez-moi à me tourner vers la fenêtre.
— Prenez mon bras… Oui…, comme ça ?
— Attention !
— Le kiné vous a levée aujourd’hui ?
— J’ai refusé… Vous avez une nouvelle eau de toilette…
— Comment ?
— Vous avez bien entendu ! Quand vous vous êtes approché. Vous ne voulez pas ?…
— Non !
— Ne vous fâchez pas.
— Nous en avons déjà parlé, l’autre nuit.
— Quelle nuit ?
— …
— Parfois j’ai peur. Le jour surtout, quand le soleil décline, que j’attends votre arrivée. Je regarde sans cesse ma montre, scrute le défilement de la trotteuse… Et si vous ne veniez pas un soir, et si vous étiez empêché ! C’est déjà arrivé…
— Je ne pouvais pas faire autrement…
— Pourquoi vous avez changé votre eau de toilette ?
— Vous avez senti l’odeur d’une crème après-rasage. Elle adoucit le feu de la lame.
— “Le feu de la lame”, “lame de fond”… Vous vous rasez avant de prendre votre service.
— …
— Alors vous gardez votre barbe de la nuit jusqu’au moment où vous rejoignez l’Hôpital.
— Il est trois heures trente, Amalia… , essayez de dormir, maintenant.
— Je ne peux pas… Approchez-vous un peu, je voudrais juste sentir encore une fois cette odeur masculine… Je vous en prie, Luc.
— C’est le nom de ce soir ?
— Oui. Venez.
— Nous étions convenus…
— Non
— …
— Je vous en prie, venez-là… Oui, comme ça…, ne tremblez pas… Une crème apaisante…, “contre le feu de la lame…” Oui c’est bon… Je vous fais peur, là, tout près… Je sens votre corps frémir… Vous avez les mains froides.
— Vous me faîtes mal avec vos ongles.
— Pardon. Ne vous écartez pas.
— Desserrez un peu vos mains,
— Vous avez peur, Luc ? Voilà, retournez dans le fauteuil ! Fraîcheur du géranium et du romarin agrémentée d’une puissante harmonie boisée du vétiver et du pin… Probablement aussi, un nuage de noix de muscade et de girofle… Je ne sais pas ?…Non, j’arrive plus…
— D’où sortez-vous tout ça ?…
— Mêmes les odeurs ne me parlent plus. Si vous m’aviez connue avant mon entrée dans ce service, avant ma déchéance… Mon père était ce qu’on appelle “un nez”.
— Il n’était pas officier supérieur dans l’Armée d’Afrique ?
— Ça c’est une autre histoire.
— Comme les noms…
— Ne revenez pas là-dessus ! Vous savez bien que je tiens à vous habiller de noms différents, selon les soirs, selon les impressions. Mon seul luxe.
— “Mathias” a duré trois semaines…
— Trop fluide, celui-là et rugueux, aussi. Nom de code, presque. On aurait pu l’entendre à la radio pendant la guerre. Non ! “Luc” sonne bien. Une syllabe, brève, coupante. Pas de sifflante, dans ce nom-là ! Peut-être que je ne changerai plus… Et puis Luc…
— …
— Votre nom, c’est comment, déjà ?
— Amalia, il faut que j’aille voir les autres patients, maintenant.
— Ils dorment tous.
— Qu’en savez-vous ?
— L’habitude.
— Depuis combien de temps, parlons-nous ?
— Ne comptez pas ! Jamais !
— Essayez de dormir, à présent…
— Chaque nuit vous répétez les mêmes recommandations. On vous a appris ça dans votre Ecole ? Ne vous levez pas, Luc !
— Soyez raisonnable…
— Vous savez que je vous écris chaque jour
— …
— Ce que je vous dis ne vous intéresse plus.
— Si cela était vrai…
— Vous me cachez quelque chose, Luc. Vous avez un secret…

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