Au Cinéma 4 (Théâtre)

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AU CINEMA 4

Scène 3

Dans le noir.

HARTMANN — Monsieur, Monsieur réveillez-vous…, Monsieur…, vous m’entendez ? Il s’agite, malgré ses liens. Réveillez-vous, je ne peux plus attendre !

VASSART, difficilement— Qu’est-ce qui se passe ?

La lumière arrive, lentement.

HARTMANN — Je ne peux plus me retenir…, la fraîcheur de la nuit m’a donné envie de….

VASSART — Vous me réveillez pour ça !

HARTMANN — Vous voulez que je pisse au lit !

VASSART — Quatre heures cinquante !! Je vais vous détacher mais promettez-moi de ne rien tenter !

HARTMANN — Dépêchez-vous !

VASSART — Vous avez compris ? Soudain Hartmann le scrute comme quelqu’un qui reconnaît une attitude. Qu’est-ce qui vous arrive ? Pourquoi vous me regardez comme ça ?

HARTMANN — Bougez-vous !!.

VASSART — Je peux compter sur vous.

HARTMANN — J’AI ENVIE DE PISSER !!

Il le détache prestement en soufflant.

VASSART — C’est au fond de ce couloir, à gauche. Quand il est seul. quatre heures cinquante du matin , j’ai l’impression d’avoir dormi une demi-heure… Je ne pourrai plus dormir, maintenant.

Il commence à préparer du café dans la cafetière électrique.

HARTMANN, en revenant — Je ne tenais plus… Qu’est-ce que vous faites ?

VASSART — Vous voyez pas !

HARTMANN — Je n’ai plus envie de jouer, entendez-vous ?

VASSART — Remontez votre braguette.Temps. Désormais, il semble étrangement calme, comme si le sommeil l’avait apaisé — « Jouer, Jouer »… Il y a des années que je ne connais plus le sens de ce mot…, comme de tant d’autres d’ailleurs… Certaines peuplades d’Australie, à la mort d’un des membres de la tribu, suppriment un mot du vocabulaire en signe de deuil. J’ai l’impression de vivre continûment ces disparitions successives…

HARTMANN — Pourquoi vous me racontez ça ?

VASSART — “Pourquoi ?” Temps. Vous croyez que je joue, moi ? Que je me suis inventé une histoire dans laquelle j’aurais programmer la mort d’une caissière. Que j’aurais décider de faire un rêve… D’en inventer… Pas besoin, c’est là ! Il désigne les toiles autour.

Silence. Ils s’observent profondément.

HARTMANN, lentement et avec gravité — Vous souvenez-vous du Lycée Alphonse Benoît…, à l’Isle-sur-la-Sorgues ?

VASSART, saisi par l’évocation de ce nom, il se fige — Quoi ?

HARTMANN — Son architecture d’un autre siècle…, sa grille travaillée s’ouvrant sur un parc immense à la française. Vassart s’est complètement paralysé à l’écoute de ces mots. Vous vous rappelez sûrement du Lycée Alphonse Benoît, non ?

VASSART — Taisez-vous !

HARTMANN — Jean Vassart, c’était votre nom à l’époque. Il n’est pas sur les toiles…

VASSART, douloureusement — Ne continuez pas…

HARTMANN — Vous ne m’avez pas eu, à l’époque…, j’étais trop jeune… Jean Vassart : professeur d’arts …

VASSART, bouleversé — Non, non…

HARTMANN — Laissez-moi parler.

VASSART, en même temps — Je ne veux plus rien entendre !

HARTMANN — Tout à l’heure, devant le cinéma…, quand ce bruit sec a claqué, j’ai revu, pistolet en main, ce prof qui intriguait tout le monde …Je n’ai pas oublié votre visage, jamais je ne pourrai l’oublier…, même si les signes de la vieillesse le recomposent aujourd’hui. Temps. Vous ne me reconnaissez pas, Monsieur Jean Vassart ?

VASSART — Arrêtez-vous. J’ai barré cette époque, comme les mots indifférents. J’ai eu cette force.

HARTMANN — Comme votre nom.

VASSART — Vous ne savez pas de quoi vous parlez.

HARTMANN — C’est pas le même, en bas, sur la porte

VASSART — Assez !

HARTMANN — Ce qui s’est passé au Lycée Alphonse Benoît a travaillé loin derrière moi…, comme une exigence. Quelle ruse… A quinze ans de distance, je vous retrouve presque dans la même situation… A la différence près que avez réussi hier soir ce que vous aviez échoué autrefois.

VASSART — Taisez-vous !, taisez-vous !, ne me parlez plus de cette époque ! Pourquoi vous avez fait ça…, pourquoi ne pas m’avoir laissé au cinéma ?

HARTMANN — Quand j’ai entendu le coup de feu claquer, quand vous vous êtes retourné vers moi, que tout le monde a fui que… Je ne sais pas…, une… Vous ne souvenez pas de moi, j’ai tant changé ?

VASSART — Je vous l’ai dit.

HARTMANN — Vous êtes sûr… ?

VASSART — Je n’arrive pas à croire que tout cela soit possible… Le Lycée Alphonse Benoît

HARTMANN — Le garçon qui criait…

VASSART — J’entends ce cri… Il tient sa tête entre les mains.

HARTMANN — Quatre grands de Terminale vous ont traîné jusqu’au rez-de-chaussée… La galerie était inondée d’élèves alertés par le vacarme… Les cours venaient juste de reprendre… Et le garçon qui hurlait près de vous sans pouvoir s’arrêter… Je crois qu’on s’est plus occupé de moi que de l’adolescent qui gisait, inanimé.

VASSART — Je me souviens…, un jeune garçon à crié longtemps après que tout soit fini… Pendant qu’on m’enfermait dans une salle…

HARTMANN — Oui, c’est ça.., il ne pouvait plus s’arrêter de crier malgré tous ceux qui l’entouraient…, Avec effroi. Vous voir serrer la gorge d’un élève de cinquième B…

VASSART — Pourquoi me rappeler tout ça, pourquoi ?

HARTMANN — Vous avez disparu du Lycée le jour même, et pourtant, pendant des années on a raconté cet épisode…, chaque fois un peu plus déformé… Je crois même avoir entendu que cet élève était mort entre vos mains… On en parlait de cet épisode comme d’une légende…

Temps.

VASSART — Vous ne pouvez pas comprendre… Hier soir, j’ai exécuté un commandement.

HARTMANN — Qu’êtes-vous devenu après. ?

VASSART, perdu — Quoi ? Temps. Hier soir, tout le monde a fui, vous avez vu. Ils ont eu peur…

HARTMANN — Vous savez où vous êtes en ce moment?

VASSART — Vous avez vu, ils ont eu peur…

HARTMANN — Vous n’êtes plus au cinéma. Regardez…

VASSART, toujours un peu perdu — Je n’ai jamais rien compris à cette histoire… Temps. Qu’attendez-vous ? Vous inventez peut-être tout ça.

HARTMANN — On pourrait dire ça…

VASSART – Oui.

HARTMANN — Après cette histoire, je crois que j’ai appris à ne plus redouter la mort.

VASSART — « La mort » dites vous ?… Vous avez une curieuse façon de prononcer ce mot…. Un peu comme si vous saviez qu’une simple lettre sépare mort de mot, un R en plus. Temps. Non ! Vous mentez depuis le début vous avez construit toute cette histoire ! Vous vous êtes servi de moi !

HARTMANN — Croyez-vous qu’on puisse s’en tirer de cette façon ?

VASSART — Ne me demandez plus rien ! Vous aimez jouer, c’est ça !

HARTMANN — Vous voyez que vous employez ce verbe…, que vous n’avez pas perdu ce mot.

VASSART — J’aurais dû vous tuer tout de suite.

HARTMANN, soudainement agité de tremblement — Allez-y, essayez pour voir ! Temps. Vous tremblez.

VASSART — Disparaissez, disparaissez…

Vassart se trouve mal, gémit. Tout se corps semble attiré par le vide.

VASSART — Laissez moi, je vous en prie, laissez moi, ne poursuivez pas.

HARTMANN — Bois un peu d’eau.

VASSART — Ne me touchez pas.

HARTMANN — Bois juste une gorgée et puis viens t’étendre.

VASSART— Ne me touchez pas !

HARTMANN — Il faut t’étendre là…, tu trembles, viens… Vassart s’étend sur le canapé. Voilà…, ferme les yeux… je pose ma main sur ton front…, n’aie pas peur…, tu es tout mouillé… Vassart gémit, s’agite. Sens-tu le froid de ma main ?… Non, ferme les yeux. Il expire un long souffle. Tu sens le froid…, un vieux pouvoir que j’utilise quelquefois…. Non, Reste étendu, le corps bien droit… mais tu pleures ! Calme-toi, je t’en prie, calme-toi…
Oui, c’est ça, respire profondément…, oui, ferme les yeux, ne cherche pas à me voir.. Je vais garder mes mains contre ton front jusqu’à ce que tu t’endormes. Non ! Garde les yeux fermés. Oui, comme ça…

Il attend un moment près de lui, retient sa respiration pendant qu’il s’endort.

HARTMANN — Il s’est déjà endormi… Ne s’est même pas débattu… Je n’aimerais pas que l’on me voit dormir comme ça… Quelle fragilité, quelle dépendance… Son corps est encore tout tendu… Il doit rêver à quelque meurtre. Temps. Il est tombé, pour sentir le poids de son corps. Temps.Comme il dort, comme il dort, ça me fascine…

L’espace scénique est soudain recouvert d’une lumière fantomatique. Hartmann, saisit l’arme, l’approche délicatement de la tempe et tire un premier coup, puis un second. La musique monte sur le noir.

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