Roland BARTHES, Le plastique

“Plus qu’une substance, le plastique est l’idée même de sa transformation infinie, il est, comme son nom vulgaire l’indique, l’ubiquité rendue visible ; et c’est d’ailleurs en cela qu’il est une matière miraculeuse : le miracle est toujours une conversion brusque de la nature. Le plastique reste tout imprégné de cet étonnement : il est moins objet que trace d’un mouvement.

Et comme ce mouvement est ici à peu près infini, transformant les cristaux originels en une multitude d’objets de plus en plus surprenants, le plastique est en somme un spectacle à déchiffrer : celui-là même de ses aboutissements. […]

Il peut former aussi bien des seaux que des bijoux. D’où un étonnement perpétuel, le songe de l’homme devant les proliférations de la matière, devant les liaisons qu’il surprend entre le singulier de l’origine et le pluriel des effets. Cet étonnement est d’ailleurs heureux, puisqu’à l’étendue des transformations, l’homme mesure sa puissance, et que l’itinéraire même du plastique lui donne l’euphorie d’un glissement prestigieux le long de la Nature. Mais la rançon de cette réussite, c’est que le plastique, sublimé comme mouvement, n’existe presque pas comme substance. Sa constitution est négative :…

Roland BARTHES, Mythologies, 1957, Seuil ed.

 

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