[…] « La peinture appartient au domaine du religieux, de la chose inconnue, du sacré, de ce qui donne à une tache de couleur une valeur universelle… Certains artistes ont la croyance qu’ils peuvent, en dehors de leur conscience, révéler un univers échappant à leur connaissance rationnelle. Je sais qu’en effet la peinture est de l’ordre du non dicible, du senti, du non explicable ; mais en même temps, et c’est peut-être lié à mes années de formation, je refuse de croire.
Ma manière d’envisager la peinture comporte donc une certaine contradiction… Mon activité se situe dans le domaine religieux, mais je souhaite qu’à l’intérieur de chaque pièce se trouve un élément qui la contredise, qui pose question. […] J’aurais voulu être un vrai peintre, pouvoir croire complètement en l’essence divine de la peinture ; mais je refuse cela, voilà tout mon malheur […]
J’imagine que mes rapports ambigus avec la peinture et mon utilisation de la photographie sont liés à une conscience juive, si tant est que j’en aie une. Je fais de la photographie, considérée comme un art moins noble que la peinture, comme si je craignais de m’affronter à cet art trop sacré… […]
Dans la plupart de mes pièces photographiques, j’ai utilisé cette propriété de preuve que l’on donne à la photographie, pour la détourner ou pour essayer de montrer que la photographie ment, qu’elle ne dit pas la réalité, mais des codes culturels. […]
Je cherche des images suffisamment imprécises pour qu’elles soient les plus communes possible, des images floues sur lesquelles chaque spectateur puisse broder. […]
Christian BOLTANSKI, in Entretien avec C.B., Delphine Renard, in Boltanski, Musée national d’art moderne, Paris, 1984