« Et il s’était retrouvé seul, de l’autre côté de la rue, face à la maison. Presque sept heures du soir. Le soleil était assez fort, comme à la fin de ces journées d’été où il avait joué dans la grande étendue d’herbes hautes, autour du château en ruine, et suivi la rue pour rentrer à la maison. Ces fins d’après-midi-là, le silence était si profond autour de lui qu’il entendait le claquement régulier de ses sandales sur le trottoir.
Il était revenu sous le même soleil et dans le même silence. Il aurait voulu rejoindre les trois autres dans la maison mais il n’en avait pas le courage. Ou faire quelques pas le long de l’allée en pente pour vérifier si le saule pleureur occupait encore la même place derrière le grand portail sur la gauche, mais il préférait attendre là, immobile, plutôt que de marcher sans but dans un village abandonné. Et puis, il finissait par se persuader qu’il rêvait, comme l’on rêve de certains lieux où l’on a vécu autrefois. Et ce rêve, il pouvait heureusement l’interrompre à l’instant où il le voulait. »
Patrick MODIANO, Chevreuse, Ed Gallimard, 2021, page 27