Éléments pour une grammaire du massacre, France culture

Avec
  • Jacques Semelin Historien, directeur de recherches au CNRS (CERI-Sciences Po).
  • Apolline Guillot Journaliste pour Philonomist et Philosophie magazine et professeure agrégée de philosophie
  • Martin Legros Rédacteur en chef de Philosophie magazine

Comme tous les vendredis, Géraldine Muhlmann propose avec ses invités de revenir sur l’analyse de Jacques Semelin sur les massacres afin de mieux comprendre l’actualité.

Comprendre les massacres par la typologie ?

Le massacre est un objet de recherche particulier. Jacques Semelin, travaillant depuis plus de 25 ans le massacre, en a bien conscience : “il s’agit de travailler sur un objet monstrueux et donc nous sommes tout de suite pris par l’émotion et ça n’épargne pas le chercheur”. Il insiste sur le fait qu’essayer de “comprendre” le massacre, comme tout autre objet en sciences sociales, ce n’est pas l’“excuser” ou le “juger”. Toutefois, il est bien conscient des limites que peut rencontrer le chercheur : “on ne peut pas tout comprendre”.

Martin Legros note qu’il y a une “distinction” à faire “entre le chercheur, qui cherche à comprendre, et l’explication, la compréhension dans le débat public”. Ne faudrait-il donc pas nous appuyer davantage sur les sciences sociales pour une meilleure compréhension de ce genre d’événement ?

Jacques Semelin propose ainsi une typologie du massacre pour saisir les différentes logiques de destruction. Ainsi, il y a la volonté de “détruire pour soumettre, c’est-à-dire on va tuer une partie du groupe pour en soumettre la totalité”. Il y a également l’objectif de “détruire pour éradiquer c’est-à-dire on va aussi détruire une partie du groupe pour le chasser, parce que c’est un autre en trop”. Enfin, il y a les massacres réalisés dans le but de “détruire pour terroriser”. Il insiste également sur la différence entre le “massacre de proximité” et le “massacre à distance”. Ces typologies permettent d’approcher les différentes logiques à l’œuvre dans le conflit israélo-palestinien, marquée par “une montée aux extrêmes”.

Un processus mental qui accompagne l’action

Etudiant la part “rationnel” et “irrationnel” du massacre, Jacques Semelin insiste sur un troisième aspect : “le massacre comme processus mental” : “c’est une opération consistant à voir un autre à stigmatiser, à humilier, à violer, à exploiter, à chasser, en partie ou en tout”. Il y a ainsi : “une imbrication entre imaginaire et réel, ces fantasmes de destruction qui se développent à partir d’un autre qui est le voisin”.

Apolline Guillot relève l’importance de l’imaginaire également chez les populations se trouvant en dehors du massacre mais qui en prennent connaissance. “Le massacre se passe au niveau du nombre des personnes tuées, mais il se passe aussi au niveau des chambres d’écho qui se créent autour de l’acte en lui-même, et c’est quelque chose de nouveau que l’on voit apparaître avec les réseaux sociaux, le live streaming, avec l’information en continu” analyse-t-elle. Face à ces images d’une haute violence, comment garder de la distance avant de bien saisir ce qu’il se passe ?

Les Cours du Collège de France

59 min

Pour en parler

Jacques Semelin est directeur de recherches au CNRS, affecté au Centre de recherches internationales (CERI).Le massacre et le génocide est un de ses objets de recherche sur lequel il enseigne également. Il a notamment écrit :

Apolline Guillot, philosophe et membre de la rédaction de Philosophie Magazine.

Martin Legros, rédacteur en chef de Philosophie magazine.

Références sonores

  • Reportage sur le massacre de Srebrenica, JT 20h – France 2 – le 3 juin 2005.
  • Musique du générique : Sabali d’Amadou et Mariam (2008).
Ce contenu a été publié dans Histoire, Philosophie, Radio, Sciences-humaines. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.