L’Ombre interne III.2 (Théâtre)

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L’OMBRE INTERNE (III.2)
(Publication de ce texte les jours impairs de Juin & juillet 2005)

2

— Sortons.
— Maintenant ? Il est tôt.
— Vous les entendez ?
— De qui parlez-vous ? Ah, mes voisins…, mais je me suis habituée.
— Vous arrivez à supporter ce vacarme …
— C’est Arnault, le petit neveu… un vrai petit diable affublé d’une gueule d’ange. Qu’est-ce que vous faîtes ?
— Taisez-vous.
— Chaque fois que vous disparaissez quelques jours, je vous revois un peu plus décharné. Je ne m’approcherai plus de vous, Luc, je vous le promets…
— Assisterai-je à votre mort, là, devant moi ?…
— Je ne vous approcherai plus… que faites-vous ?… Luc, non… Luc…

Peu aprés

— Où m’emmenez-vous ?
— Aucune idée, choisissez.
— J’ai envie de de promener au bord du canal…
— Je suis à vos ordres.
— Ne dites pas ça ! Je ressens une extrême lourdeur, là, au fond du ventre… Une sorte de…
— Ce parc m’apparaît totalement banal.
— C’est parce que vous êtes au milieu. Regardez ce massif, là-bas, on pourrait aller les voir de plus près…
— Qu’est-ce vous prend ?
— Voilà quatre jours que j’attends de vous avoir près de moi et vous me parlez négligemment de ce parc que je ne vois plus à force de le côtoyer.
— Je voudrais reconnaître ces plantes. Je peux m’appuyer sur votre bras? Ne tremblez pas comme ça.
— Taisez-vous !
— Ne marchez pas si vite… C’est la première fois que nous sommes dehors, ensemble. Ce sont des Bougainvillées. Aux Accates j’ai plusieurs ouvrages sur la flore, les seuls que je conserve encore et j’ai souvent battu la campagne pour trouver ce que le livre désignait… Par exemple, ça c’est un… et celles-là au fond, des…
— …
— Vous avez froid ?
— Un peu.
— Fermez votre chemise. Ces arbres ont plus de charme quand on les observe de près. Comme certaines personnes.
— Allons voir celui-là.
— Le jaune ?
— Oui. Est-ce sa couleur naturelle ou est-il en train de mourir ?
— Qu’en pensez-vous ?
— …
— Quand les gens meurent, ils changent de couleur, non ?
— Ça dépend.
— Dans ma religion, il est interdit de voir la figure d’un mort. Cette prescription arrange tous ceux qui restent, mais personne n’ose l’avouer…
— Ce jaune est trop vif pour être celui d’un arbre malade. Et puis regardez, comme les feuilles sont épaisses, elles font penser à des ongles de pouce.
— Oui, mais recrequevillés, des ongles incarnés…
— Ça ne vous lâche pas… Luc. J’aurais voulu vous apercevoir de loin. Marcher là-bas, au fond, par exemple… Si on allait chez vous ? Excusez-moi. Alors restons encore un peu dans ce parc. Vous savez, Luc…
— Qu’est-ce que vous allez dire encore ?
— Non rien.
— Qu’est-ce qui vous prend ?
— Rien, rien, c’est le froid qui me… Aujourd’hui, je vous trouve extraordinairement beau.
— C’est pour me dire ça que vous prenez tant de précaution…
— Laissez-moi vous voir sous cette lumière, je ne sais pas si j’en aurais encore l’occasion.
— Vous comptez mourir dans les heures qui suivent ?…
— Pendant que vous lanciez votre main tout en parlant, j’ai revu l’image d’un ami qui a disparu prématuremment.
— …
— Permettez-moi une question… Comment viviez-vous avant d’entrer dans le service de Ponsard, comment vous…
— …
— Luc, j’ai eu peur, brutalement. Là, tout près. Je me souviens de Thomas… Tenez-moi.Un personnage de rêve qui revint presque chaque nuit pendant plus d’une année… Mon mari venait d’être emporté par une embolie et le soir de ses obsèques, cet inconnu, sorte de personnage composite, m’est apparu en rêve et s’est mis à me parler de mes cahiers, des livres copiés, de la Mer près des Accates, de ma folie… Il s’appelait Thomas, ou peut-être lui ai-je donné un nom, à lui aussi ? Le matin, j’essayais de retranscrire ses paroles, mais c’était chaque fois impossible… Une nuit, en rêve, il s’est avancé vers moi, m’a tendu les mains et s’est effondré dans mes bras. J’ai compris qu’il ne m’apparaîtrait plus jamais.

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