l’Ombre interne I.9 (Théâtre)

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L’OMBRE INTERNE I.9
(Publication de ce texte les jours impairs de Juin & juillet 2005)

9

— Encore vous ! Il est plus de quatre heures trente, allez-vous me laisser travailler !
— Ils dorment tous, maintenant, j’ai attendu pour…
— Qu’est-ce que vous en savez ?
— Ne raccrochez pas !
—Vous êtes cruel avec moi…
— C’est pour me dire ça que vous m’appelez en pleine nuit à l’Hôpital ?
— Ça fait plus d’une semaine que j’appelle chez vous. Vous avez décroché ?
— Non. Et puis comment avez-vous obtenu mon numéro ?
— J’ai mes informateurs…Vous avez retiré la prise du téléphone.
— Je travaille la nuit et dors le matin, ne le savez-vous pas ?
— Mais l’après-midi ? Mais en fin d’après-midi ? Mais les soirs de repos ?
— Venez chez moi…
— Amalia…, vous semblez avoir une meilleure voix… Vous avez quitté l’Hôpital… Vous vous êtes réinstallée dans vos murs… C’est…
— Vous avez de la peine à me parler comme si vous vous adressiez à une inconnue ?
— Qui êtes-vous ?
— …
— Je n’entends plus le son de votre voix… Amalia ?
— Votre pouvoir… Vous avez reçu mes lettres ?
— Comment avez-vous eu mon adresse ?
— Rien de plus facile quand on a été la fille d’un grand chirurgien ?
— Créateur de chaussures. “Nez” à Grasse, “Pilote d’essais” avant la dernière guerre. “Promoteur immobilier”. Et maintenant, “chirurgien”… Dans quelle spécialité exerçait encore, votre père ?
— Dieu !, vous êtes cruel ! Pourquoi vous ne répondez pas Vous vous êtes débarrassé de mes lettres !
— Elles doivent traîner dans mon hall, au milieu des journaux qui s’empilent depuis des semaines.
— Un jour, je me suis fais accompagner par un taxi. J’ai failli sonner… J’étais en bas de chez vous, il devait être neuf heures du matin. Je vous ai imaginé en train de dormir… Je n’ai pas oublié votre odeur, Luc…
— Celle que je porte juste après une toilette : camphre et alcool à 30°.
— J’ai à vous parler… Que faites-vous en ce moment ?
— …
— Répondez-moi, je vous prie, Luc… J’ai envie de vous voir …NE RACCROCHEZ PAS !
— Je n’allais pas…
— J’ai cru que…
— Je n’ai pas bougé. Laissez-moi, maintenant…
— Cent onze jours à l’Hôpital. Et puis dix sept jours d’interruption.Votre silence. Nouvelles tentatives et refus. De nouveau, des appels et puis rien. Aujourd’hui je vous prends.
— Je ne suis pas seul.
— Vous mentez ! Luc…, Luc…, répondez-moi… Luc… J’entends votre souffle… Luc… Vous ne voulez pas ? En cent onze jours, à l’hôpital, j’ai eu le temps de reconnaître la nature de votre respiration, votre rythme… Ces sortes d’hoquets brefs du souffle, vos oui de fond de gorge. Avalés…Toute une matière de l’intérieur… Luc, c’est Amalia… Luc… Je tiendrai tant que vous ne raccrocherez pas. J’ai tant à… Vous bougez le combiné, je l’entends. Est-ce bien vous, au moins ? Qui pourrait me répondre ? Jamais personne n’a franchi la porte de votre appartement, j’en suis persuadée. Hier j’ai pris un nouveau taxi, il m’a arrêtée au pied de votre immeuble, nous avons attendu plus de deux heures, c’est des crampes dans les hanches qui m’on fait fuir. Je savais que vous étiez absent, mais… Je vous sens, . Je suis persuadée que vous… Je continue à vous écrire, mais cette fois je conserve toutes les lettres… Veux plus prendre de risques… Vous ne voulez pas me dire un mot ? Juste un ? … Vous avez remarqué, je n’ai plus changé votre nom depuis… Vous êtes un personnage immobile. Désormais, je ne peux plus rien pour vous…

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