Dentelles

Si nous partons d’une page au hasard de Fragments d’un discours amoureux, de Roland Barthes, sautent immédiatement aux yeux du lecteur des lieux d’inscription, des places séparées par du blanc où des titres, arguments barthésiens, numéros, figures et notes en marge ou en bas de page, s’étagent.

Barthes a conçu ses pages au travers d’une échelle de degrés et son texte ne combine pas des valeurs d’inscription mais articule plutôt des différences typographiques par l’emploi de caractères distincts affectés à des notes, à des définitions, à des noms d’auteur.

Cette unité purement scripturale semble aller à l’encontre du sujet amoureux dessiné par RB puisqu’il en fait un sujet barré, un sujet hétérogénéisé par ses plusions. Aussi, cet étagement des plages de la conscience rend ce texte à peine mobile car il le soumet à une topique de l’inscription où des places assignent des figures à résidence.Toutefois, les Fragments baillent sur le blanc et liquéfie la conception globalisante du « texte-bloc » en inscrivant une marge flottante : une dentelle. Chaque figure serait ainsi bordée par le blanc de figures voisines dans un alignement impossible.

Pour que le lecteur, s’inscrive quelque part dans le texte, il faut bien lui réserver ces « lieux d’aisance » où il pourra montrer le bout de l’oreille. Ce parti-pris typographique, loin de constituer un simple agencement de morceaux de textes, promeut plus sûrement la place de l’Autre. Et, parmi les écrivains de la Modernité, Mallarmé fut l’un des premiers à formaliser de la sorte la page d’un ouvrage.

Dans Fragments d’un discours amoureux, RB nous invite à traverser son texte comme le voyageur du train parcourt une contrée. On peut à loisir, choisir un morceaux du paysage, déloger du blanc ou le condenser, rapiécer des phrases, en extraire un mot, un seul, tirer sur des sens ou les annuler, défaire des parenthèses et gober ce qu’elles entourent. Toute une stratégie du déplacement peut conduire le lecteur vers les lignes souveraines de ces fragments qui marginalisent la lecture.

De l’amoureux il parle, au désir il renvoie…

D’ailleurs, la combinatoire de la page de Fragments d’un discours amoureux fait déplacer le regard selon un ordre qui tiendra à la structure du lecteur. Certes, on peut « l’attaquer » classiquement dans la physique occidentale de la lecture, soit de gauche à droite et de haut en bas, toutefois cette page, ce livre, permettent le « papillonnement discursif », l’attaque désordonnée, un peu comme l’analysant qui va feuilleter la revue ou le livre théorique afin de trouver le passage qui pourrait évoquer son cas. Le lecteur, sujet amoureux, du livre tout au moins, va s’arrêter là où il va reconnaître la spécialité d’une émotion, d’un désir, actuel ou ancien.

Comme il est étrange qu’un livre renvoie « l’idiot » à la position de chercheur. En vérité, il s’identifie aux exigences du sujet dispersé, au désordre fondamental, en tant que le sujet n’est jamais UN.

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2 réponses à Dentelles

  1. conduire dit :

    Toute une stratégie du déplacement peut conduire le lecteur vers les lignes souveraines de ces fragments qui marginalisent la lecture.

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