Jean-Pierre OSTENDE, La fondation d’un brave homme

La fondation d’un brave homme

Antoine ne dit jamais qu’il flippe sa race. Cela ne lui viendrait pas à l’esprit. Pourtant, dès la fin de ses études aux Etats-Unis, il a commencé de se laisser appeler par son prénom et même d’y trouver du charme.
Pourquoi ne pas être simple et accessible ?
Avenant, Antoine sourit à tout le monde au point que l’on ne le penserait jamais si débordant de qualités et riche.
Affable avec tout le monde, Antoine est si courtois qu’il a pu passer un jour pour arrogant aux yeux d’un critique pervers (« avec sa courtoisie arrogante »).
Émouvant et presque maladif, Antoine ne peut se retenir de créer de l’émotion.
Antoine aime l’histoire de Marcel l’enfant peu travailleur accusé par le professeur d’avoir copié la rédaction de Raymond son frère aîné. La rédaction avait pour sujet : Décrivez un animal.
Se défendant mordicus d’avoir copié la rédaction de Raymond son frère, Marcel enfant accusé a fini par dire :
– Non, monsieur, je n’ai pas copié. Raymond et moi avons exactement le même chien.
Antoine se reconnaît tout de suite dans cette histoire, ce mélange de goût pour la fraude, l’exactitude et le mensonge sincère (art politique suprême).
C’est tout à fait lui cette manière d’intelligence.
Il a l’impression d’avoir rusé toute sa vie mais dans un souci de précision et d’efficacité, de bon élève. Tout a marché à un point incroyable. Il n’a pas cessé de réussir.
Il a un amour profond pour la ruse et l’intelligence, les bonnes réparties. Il adore Winston Churchill et Coluche.

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Satisfait de sa fondation et de tous les compliments, éloges, articles pour vanter sa générosité, régulièrement classé dans le top dix des hommes les plus généreux du monde, Antoine est l’homme qui donne beaucoup et à beaucoup.
Il est souvent en couverture de magazine comme l’un des hommes les plus charitables, bienfaisants, désintéressés que l’on puisse trouver. Et bien qu’il soit parfois difficile de rester toujours abordable, souriant, aimable même avec le petit personnel, il n’a jamais perdu le sourire.
Tout le monde le trouve courtois, voire sympa.
Antoine a seulement de temps en temps un regret au goût d’amande amère de l’époque où il était décrié pour ses laboratoires pharmaceutiques (mais combien de vaccins n’a-t-on pas trouvé grâce aux cobayes ?), détesté pour ses plans sociaux logiques mais cruels (l’assistanat leur rendait-il service ?), haï pour la destruction de régions entières (mais les ogm ont nourri beaucoup de gens, pas longtemps certes) et la disparition de milliers de famille condamnées pour ne pas avoir pu les moyens de s’offrir ses médicaments (pourquoi n’ont-ils rien prévu ?).
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Heureusement il n’a pas pris ses décisions seul. Pratiquement jamais. Il n’a jamais pris de décision seul. Et il a toujours assuré l’avoir fait par goût pour la démocratie dans l’entreprise, la participation, la collaboration. Tout est dilué. Même les syndicats ont approuvé sa politique interne et fermé les yeux sur les filiales à l’étranger. Au fond, quand on regarde de près, quand on examine les décisions, ce n’est pas lui qui les a prises. Il a fait confiance à ses conseillers. Peut-on lui reprocher sa capacité immense à faire confiance ? Et ses éloges pour le peuple des conseillers ?
Heureusement aussi, il y a l’art et la fondation.
Un jour on dira qu’il a choisi avec soin ses 126568 œuvres d’art.
Comme c’est merveilleux l’art.
Tous ses artistes qu’il rend heureux. Ses artistes qui viennent dans sa fondation et se réjouissent de ses commandes. Bien qu’il regrette un peu le temps où les artistes mordaient encore un peu ses mollets. Il se méfie de la moraline et des bons sentiments. C’est tellement dégoûtant et bas. C’est tellement mielleux ces bons esprits. On croit vous encenser, on vous enterre.
Antoine est sentimental. Surtout en vieillissant. Parfois une larme apparaît dans ses yeux.
Il aime ainsi l’histoire de l’enfant qui vient de perdre Charles son oncle adoré. C’est presque maladif cette fixation de l’enfant sur l’oncle Charles, médecin, qui s’est sacrifié pour des causes humanitaires.
Un jour l’enfant marche avec son père dans la rue et s’effraie toujours de voir des mendiants, des sans domicile fixe dans la rue, des migrants. L’enfant a même tendance à leur cracher dessus, les maltraiter, à se moquer d’eux, à les traiter de parasites, de rats. Croyant peut-être plaire à son père qui a souvent condamné le laisser-aller et la mendicité ? Pourtant, contrairement à ce que croit l’enfant, le père supporte de moins d’entendre chez son jeune fils ces paroles cruelles, cette méchanceté, cette malveillance et il cherche le moyen de le corriger.

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