Jean-Pierre OSTENDE, La bête mentale en nous

La bête mentale en nous

La bête revient toujours langue pendante, tenace, gigantesque, inventive et capable de prendre toutes les apparences.
Accrochée si profondément à ce qu’elle tient, là où elle s’est infiltrée, aucun nettoyeur n’en vient à bout, jamais, s’appropriant sans cesse de nouvelles formes, suradaptée, elle s’arrange de tout et travers les siècles.
C’est pourtant ce qu’il y a de plus ouvert, autorisé, donné, répandu, l’opinion, l’avis, la sensation, le ressenti comme on dit.
Cette bête est dispersée à un point inimaginable, répandue jusque dans votre façon de marcher, de vous asseoir, de parler, vous habiller, dans votre nourriture, votre maison, vos relations, votre regard, votre pensée.
Jusque dans toutes vos émotions.
Même dans l’air, la couleur, l’odeur, la musique, la cuisine, le climat, le paysage, le jeu, le cinéma, les sensations, elle est là, assise. Partout elle niche. Jusque dans les révoltes et les colères. Jusqu’au creux de votre intimité.
(…)
Ça va partout, ça s’infiltre, s’installe, ça se reproduit.
Ça rentre et se nourrit et se développe profond.
Ça s’accroche jusque dans les gênes, on le sait maintenant. Il y a un effet de l’expérience sur l’ADN.
Tout le monde mange et boit et respire cette chose partout. Tout le monde. Tout le monde croit. Tout le monde avale. Personne ne sait comment. Nous sommes un immense brouillard depuis des millions d’années, une eau qui prend toutes les formes, une boue universelle, un nuage d’êtres vivants dans des milliards de galaxies qui comprennent des milliards d’étoiles qui comprennent des milliards de planètes.
Ça ruisselle.
Avant même que nos pensées se « présentent », s’identifient, donnent leur code, toutes les formes, les saveurs, les couleurs, les goûts, les matières sont imprégnées de cette chose. Parce que nos syllabes en sont imprégnées. Nos mots. Nos fêtes. Nos expressions. Nos gestes. Nos sous-vêtements. Nos plaisanteries. Nos tristesses. Nos chaussures. Nos épices. Notre cuisine. Notre façon de rire ou de pleurer. Notre sport. Notre amour. On baigne dedans.
Nous trempons tous dedans.
Et pourquoi une imprégnation si forte ?

(…)

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