Experte en solitude par Jean-Pierre Ostende

« La solitude de fin de matinée un dimanche, disait Laura Yun, n’est pas la solitude de l’après-midi, n’est pas non plus la solitude du soir en semaine, n’est pas la solitude de la nuit noire et sans lumière, n’est pas la solitude de l’aube quand les formes naissent, apparaissent doucement, s’éclaircissent, disparaissent. Elle avait ajouté que la solitude de fin de matinée en plein hiver sous les flocons de neige n’était pas la solitude de fin de matinée en plein été dans la chaleur et le ciel bleu ni la solitude de plein hiver au moment où la nuit tombe d’un coup et très tôt, pas la même que la solitude de l’après-midi pluvieuse et glissante, pas la même non plus la solitude de l’après-midi dans la glace et la neige et que cela n’avait rien à voir avec la solitude de l’aube à bord d’un avion de long courrier qui atterrit dans un pays chaud pendant une tempête de sable pas plus que cela avait grand chose à voir avec la solitude de l’aube à bord d’un train bruyant et bien rempli qui traverse la Sibérie avec du thé brûlant ou l’Espagne du sud du côté des plaines où ont été tournés des westerns pas plus que la solitude dans une gare déserte en Italie au milieu de l’été quand la chaleur nous empêche de bouger et que les mouches collent.
Et, bien qu’elle ait toujours détesté se vanter, Laura Yun s’y connaissait en solitude. Quiconque l’avait vue dans son appartement en haut de la tour, assise dans son canapé la nuit, regardant les lumières rouges des voitures qui s’éloignent et les lumières blanches des voitures qui arrivent, écoutant Janis Joplin, une autre experte en solitude, chanterMay be le savait. »

Laura Yun était une experte en solitude.

Histoire sauvage de Jean-Pierre Ostende

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