MATISSE, L’Atelier rouge

 Collection « Polaroïd », voir et représenter

Matisse,  L’Atelier rouge (1911)

« Dans mon atelier le sol est rouge sang de boeuf comme dans les carrelages provençaux; le mur est rouge; c’est comme si le sang s’était infiltré pour tout teindre; les meubles sont rouges entourés d’un fil d’or mat. Ce rouge est comme une nuit chaude à l’intérieur de laquelle, venant de la fenêtre à gauche, une intense lumière fait naître ou plutôt ressusciter les autres objets. Il y a sur la commode plusieurs pots dont l’un est rempli de pinceaux devant une frise que l’on dirait en marbre noir et or comme le manteau d’une cheminée, qui passe derrière l’horloge dont on voit l’écran mais pas les aiguilles. Il y a la toile rayée du transatlantique à demi replié près d’une de mes assiettes blanches et bleues sur la table à droite. Il y a une jarre qui vient aussi des bords de la Méditerranée. On dit que c’est mon atelier de Clamart, mais j’ai tout fait pour y reconstituer la lumière d’ailleurs. Il y a deux de mes sculptures sur des selles de modelage et la table à gauche plus près, une troisième autour de laquelle une liane de capucine venue d’une fiasque vert sombre à long col tourne  amoureusement. Que tu es belle, Marguerite, ma fille! tes dents sont un troupeau de brebis tondues qui remontent du bain. Il y a sur la même table un grand verre transparent, un des plats que j’ai décorés d’une femme comme si c’était elle qui offrait toute la nourriture, qui la produisait, à demi dressée sur un socle noir, près d’une boîte de crayons dont deux sont déjà sortis. Il y a les tableaux encadrés ou non qui sèchent en attendant l’approbation finale: trois femmes au bord de la mer, je l’ai appelé le Luxe , un satyre épiant une nymphe dans la forêt, un pot de cyclamen sur une table ronde, un marin accoudé, deux grands nus, un brin de paysage, une petite aquarelle sans doute dans son passepartout. Il y a les œuvres passées, toile retournée, montrant leurs châssis, et les cadres prévus pour des tableaux futurs. C’est là que je m’efforce de vivre et d’inventer, au milieu du tintamarre et de la menace, un monde de volupté calme. Je me suis toujours méfié des maîtres, mais je les ai passionnément interrogés, et l’on trouvera leurs leçons dans toutes mes audaces. »

matiise-lateleir-rouge.1294897112.jpg

Quitter le Temps 2 (miroir)  – Décoller du Temps (séries)

Ce contenu a été publié dans Polaroïd. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire