Au cinéma Fin (Théâtre)

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AU CINEMA Fin

Scène 4

Hartmann et l’inspecteur dans un bureau de l’hôtel de Police.
Désormais, il faudra que le personnage de Hartmann soit sensiblement différent, tant dans sa façon de parler que dans celle de se tenir durant “l’interrogatoire”. C’est à cette différence que l’histoire va lentement se décaler…

L’INSPECTEUR — .., vous l’avez sûrement aperçu quand il faisait la queue.

HARTMANN — Non, pas vraiment.

L’INSPECTEUR — Mais là où vous étiez placé, vous ne pouviez pas ne pas le voir.

HARTMANN, hésitant — En êtes-vous sûr ?…

L’INSPECTEUR — Il a demandé un ticket pour la salle 8 et a longtemps cherché de la monnaie alors que tout le monde s’impatientait derrière.

HARTMANN — Comment vous savez ça ? Temps. J’étais loin de la caisse…, juste au-dessus des affiches. Je ne savais pas encore quel film j’allais voir.

L’INSPECTEUR — Vous avez tout de même entendu le coup de feu.

HARTMANN — Comment ne pas entendre un tel bruit!

L’INSPECTEUR — Et alors, qu’avez-vous fait ?

HARTMANN — J’ai reculé.., heu…non.

L’INSPECTEUR — ……….

HARTMANN — Je voulais fuir comme tout le monde mais je n’ai pas pu bouger. Je crois, heu… Je suis resté devant cet homme… immobile… Il pointait son arme vers moi.

L’INSPECTEUR — Tout le monde a vu cette scène. Temps. Alors…

HARTMANN — Il a avancé calmement…, son visage blême semblait éclairer tout le reste de son corps.

Temps.

L’INSPECTEUR — Qu’avez-vous fait ?

HARTMANN— Rien d’autre…, j’ai attendu qu’il soit très près de moi pour bouger un peu, comme pour me prouver que j’étais encore capable de marquer un geste.

L’INSPECTEUR — Quel geste ?

HARTMANN, lentement— Devant lui…, alors que son haleine balayait mon visage, j’ai senti le bout de son arme contre mon ventre. Temps. C’est la première fois que je me trouvais si près d’un assassin.

L’INSPECTEUR — Qu’est ce qu’il vous a dit

HARTMANN— Qu’est-ce qu’il m’a dit… Je ne sais plus. Rien ! Il ne m’a rien dit.

L’INSPECTEUR — Des immeubles d’en face on vous a vu lui parler .

HARTMANN — Vous croyez ?… J’ai probablement parlé pour retourné ma peur… Peut-être que je n’étais plus en mesure de supporter le silence après tout ce bruit… Qui sait ? Oui, c’est ça… Je…, je me suis mis à dire quelques mots et il a eu peur…, des gouttes perlaient sur ses tempes… Je me souviens… Il soufflait comme quelqu’un qui cherche l’air.

L’INSPECTEUR — Il faisait très chaud.

HARTMANN — Oui, une chaleur due à ce temps immobile que nous connaissons depuis trois jours.

L’INSPECTEUR — Que lui avez-vous dit exactement, monsieur Hartmann ?

HARTMANN — ………………..

L’INSPECTEUR, d’un ton ferme et conciliant — Monsieur Hartmann, aidez-moi un peu…, vous êtes le témoin essentiel de cette histoire…. Je ne pourrai jamais la comprendre sans votre collaboration.

Temps.

HARTMANN, perdu — Je ne comprends pas moi-même, mais…

L’INSPECTEUR — Oui…

HARTMANN, comme sortant d’un songe — Comment ?

L’INSPECTEUR — Il me faut plus de détails. Une nuit entière c’est long, et vous êtes passé très rapidement sur ce qui s’est passé…

HARTMANN — Je vous ai dit tout ce que je pouvais vous rapporter.

L’INSPECTEUR — Ça vient juste d’arriver…

HARTMANN — Je me sens déjà très loin de tout ce qui s’est passé.

L’INSPECTEUR — Bon, on va un peu reprendre les choses par le début. A quel moment vous a-t-il menacé, exactement ?

HARTMANN, hésitant — … Après le café… Quand il s’est réveillé en pleine nuit pour me dire qu’il avait pris la décision de me faire disparaître, que j’étais trop dangereux pour lui… Que je posais trop de questions

L’INSPECTEUR — “Trop de questions” ?

HARTMANN — Oui.

L’INSPECTEUR — Lesquelles ?

Temps.

HARTMANN — Je ne sais plus.

L’INSPECTEUR — Pouvez-vous me dire, au moins, ce qu’il a poussé soudainement à prendre la décision de vous tuer alors qu’il vous a tenu attaché pendant des heures ? Temps. Il s’impatiente devant le regard fixe de Hartmann Vous avez entendu ma question ?

HARTMANN — Oui.

Silence.

L’INSPECTEUR — Il vous a reconnu, non ?

HARTMANN — Qu’est-ce que vous en savez ?

L’INSPECTEUR — Répondez !

HARTMANN — Je ne sais pas !

L’INSPECTEUR — Vous êtes sûr ?

HARTMANN — Je ne crois pas…

L’INSPECTEUR — Même à la fin ?

HARTMANN — Comment, “à la fin” ?

L’INSPECTEUR — Mais quand vous lui avez dit.

HARTMANN — Comment ? Temps. Je vous l’ai dit tout à l’heure. J’étais élève dans l’établissement où il enseignait l’Histoire et la Géographie…

L’INSPECTEUR — Pas une fois, vous n’avez croisé sa route ?

HARTMANN — Non… Pas avant…

L’INSPECTEUR — Mais alors, cet épisode du Lycée Alphonse Benoît, vous lui en avez parlé ?

HARTMANN — Ah oui, c’est ça ! C’est quand j’ai parlé du Lycée qu’il a voulu m’abattre ! Voilà !

L’INSPECTEUR — Oui.

HARTMANN — J’ai toujours entendu parlé de cette histoire… Au lycée, loin de chez moi…, sur des magazines locaux… même dans des contes anglais… J’en ai toujours entendu parlé…

L’INSPECTEUR — Dans des contes anglais…Vous êtes sûr… ?

HARTMANN — J’ai tout gardé à la maison, tout ! Les pages ont jauni, mais l’histoire reste encore lisible. J’ai pu lui en parler jusqu’aux moindres détails…

L’INSPECTEUR — Vous lui avez parlé de ce que vous aviez lu.

HARTMANN — Je crois bien…

L’INSPECTEUR — Vous le croyez ou vous en êtes sûr ?

HARTMANN — Je ne sais pas… Je voudrais rentrer chez moi, maintenant.

L’INSPECTEUR — Nous n’avons pas fini. Quel est votre travail, déjà ?

HARTMANN — Vous le savez… Je travaille dans une banque…, au contentieux…

L’INSPECTEUR — C’est tout ?

HARTMANN — Oui.

L’INSPECTEUR — Vous êtes sûr… ?

HARTMANN — Vous pensez à mes petites foutreries…

L’INSPECTEUR — Vous appelez les histoires que vous publiez, “des foutreries” ?

HARTMANN — Ça m’amuse. Vous lisez, monsieur l’inspecteur ?

L’INSPECTEUR — Ça m’arrive…

HARTMANN — Ils ne veulent plus rien publier de moi, je leur fais trop peur. Avant, non. Vous comprenez, je suis un très grand écrivain, je vous montrerai les articles élogieux sur mes textes, mais maintenant les éditeurs, ils ont peur de me publier parce qu’autrement, plus rien de ce qu’ils sortent ne se vendrait.

Temps.

L’INSPECTEUR — Vous avez publié à compte d’auteur.

HARTMANN — Ouais. Même eux. A ce point, vous voyez ? Je vous dédicacerai un de mes livres, inspecteur. Si vous êtes un lecteur, vous verrez que je suis un grand écrivain, mais je gène trop de monde.

L’INSPECTEUR — Revenons à ce qui s’est passé, cette nuit.

HARTMANN — Nous nous sommes égarés…

L’INSPECTEUR — Je ne crois pas. Alors, quand il vous a pris en otage, vous n’avez rien tenté ?

HARTMANN — Je voudrais vous y voir ! Je conduisais, il avait son arme, ici.

L’INSPECTEUR — Et chez lui ?

HARTMANN — Pareil !, il me tenait constamment sous son arme.., sauf quand il m’a attaché pour dormir. Alors là, il a posé son arme près de lui, mais de ma place , je ne pouvais pas l’atteindre. Et puis, j’avais peur !

L’INSPECTEUR — Vous m’avez dit tout à l’heure, que vous n’aviez jamais eu peur.

HARTMANN — Vous croyez ?… On peut dire parfois des choses sans les comprendre…

Silence

L’INSPECTEUR — Il vous a attaché puis s’est endormi aussitôt.

HARTMANN — Comme un enfant. Ce pouvoir me fascine, j’écrirai un jour une histoire là-dessus…

L’INSPECTEUR — Et pendant son sommeil, vous n’avez rien tenté.

HARTMANN — Il avait caché la clé…

L’INSPECTEUR — Personne ne vous a vu entrer dans la maison ?

HARTMANN— Cette partie de la ville est un désert la nuit. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a choisi cet endroit pour vivre.

L’INSPECTEUR — Il vous a dit ça ?

HARTMANN — Il aurait pu le dire. Si j’avais été à sa place, c’est ce que j’aurais dit.

Silence. L’inspecteur le considère d’un air désolé.

L’INSPECTEUR — Donc après le café , il vous a menacé.

HARTMANN — Oui…, heu.. nous sous sommes même battus… Il avait une force qui dépassait tout ce que j’ai pu connaître… C’est au moment où il a tenté de m’étrangler, c’est au moment où il était tout près de moi que j’ ai pu saisir l’arme qu’il avait déposé sur le lit. Il n’a rien vu. Plus rien. Lui non, moi j’ai tout vu !

Temps.

L’INSPECTEUR — Vous étiez en état de légitime défense…

HARTMANN — Oui, c’est ça !

L’INSPECTEUR — Vous avez tiré combien de balles ?

HARTMANN — Heu…, vous le savez ça, vous êtes de la police ! J’ai tiré deux balles. La première l’avait déjà atteint il était en train de s’affaisser sur le lit quand la seconde est partie malgré moi.

L’INSPECTEUR — Deux balles… Qu’avez vous fait après ?

HARTMANN— J’ai pleuré comme un enfant, je me suis mis à crier, à l’appeler…., à tenter de le réveiller… J’ai quitté la maison aussitôt. J’avais peur, j’ai cherché une cabine.

L’INSPECTEUR — Vous avez téléphoné une heure après sa mort…

HARTMANN — J’étais comme étourdi… J’ai marché longtemps en pleurant… Je ne savais plus ce que je faisais.

L’INSPECTEUR — Pourquoi ne pas avoir téléphoné de la maison ? Temps. Hum ?

HARTMANN — J’avais peur de le voir, de rester auprès du corps… et puis du sang avait souillé le téléphone.

L’INSPECTEUR — Du sang…

HARTMANN — Ça fait trois fois que je raconte toute cette histoire… Je pourrais partir, maintenant, j’ai très sommeil, comme lui. ?

L’INSPECTEUR — On vous attend à la maison, vous voulez appeler ?

HARTMANN — Non, je vis seul.

L’INSPECTEUR — Qui est la “Héléna” dont vous m’avez parlé tout à l’heure ?

HARTMANN, perdu encore — Je vous ai parlé, d’Héléna ? Temps. C’est une collègue de travail, mais il ne s’est jamais rien passé entre nous, je ne pourrais pas !

L’INSPECTEUR — Elle est au contentieux ?

HARTMANN — Si on veut. Oui et non. C’est une secrétaire. Qu’est-ce que je vous disais déjà, sur Héléna ? Vous ne savez pas ? C’est une parleuse mais je l’aime bien. Elle parle plus que moi, mais elle ne sait pas inventer des contes. C’est à elle que je les fais lire en premier, tout ce que j’écris, d’ailleurs. Temps. J’ai très sommeil… Si vous m’attendez un peu, on pourrait continuer à parler, après. Je pourrais m’endormir.

Silence. L’inspecteur le scrute longuement, profondément alors qu’Hartmann semble traversé de pensées parasites. La scène est inondée d’une lumière blafarde, intense, quasi insoutenable.

FIN

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